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Analyse des Wing Sails par Luc du Bois

Sur le sujet des ailes et en général par rapport à notre classe, je suis de même avis que toi, c'est à dire que si on limite trop le développement, la classe va stagner au niveau actuel et ce sera seulement une question de temps avant qu'une nouvelle classe plus moderne ne finisse par remplacer le Class-A.

A ce sujet je crois que nous avons déjà fait une erreur en voulant limiter la possibilité de faire voler un Class-A. Si je regarde on nous en sommes avec les bateaux de la coupe America, voler a rendu le bateau plus facile à naviguer dans la brise (plus stable, moins d'enfournement). C'est une évolution logique et positive pour naviguer plus facilement dans la brise.

Par contre je ne suis pas sur que l'investissement qui a du être fait en surface mouillée (dérives plus grandes et safrans avec plan horizontaux) ne deviennent pas très pénalisant dans le petit temps (en dessous de 12 TWS). Ce que j'essaye de dire par la, c'est que dans tout développement il y a des pour et des contre et que dans toute classe évoluée (comme le Class-A) ,il est très difficile de faire des grosses révolutions qui apportent des améliorations de performances à toutes les allures et sur toute la plage de vents. Il ne faut pas croire que toutes les nouvelles idées (qui sont rarement fondamentalement nouvelles ces jours) vont rendre tout les bateaux existants complètement dépassés. Si on regarde les quelques exemples de ces dernières années en Class-A et avec un peu de recul, on se rend compte que les évolutions sont beaucoup plus progressives qu'on veut bien le dire. Les dérives courbes n'ont finalement gagné leur premier championnat du monde qu'en 2010 et que le DNA, après une entrée très remarquée (surtout parce que beaucoup de bons navigateurs en ont acheté) n'a pas rendu les autres bateaux complètement ridicules (Scheurer, Nikita, Vision etc..). On a également toujours pas revu d'ailes rigides après la tentative de Ben Hall en 2007 !!!

Cette dernière constatation me ramène au sujet principal de ce mail qui est l'aile rigide. Pour commencer, je voudrais juste rappeler quelques points fondamentaux au sujet de notre "moteur" (voile souple ou aile rigide). La puissance aérodynamique que nous pouvons utiliser est fondamentalement limitée par le "righting moment" du bateau. Tout les Class-A sont à la largeur max (2.3 m), tout les mâts en ce moment on la même hauteur max et le poids moyen d'un Class-A avec barreur est d'environ 155 Kg. Nous jouons donc tous avec à peu près la même puissance max utilisable. Avec ces chiffres en tête on constate que au près on est confortablement au trapèze à partir de 6-7 TWS et que au portant on est sur une coque a partir de 10 TWS. Le trapèze au portant devient intéressant à partir de 12 TWS. Pour moi la conclusion de tout celà est qu'une aile rigide (qui a le potentiel de générer plus de lift qu'une voile souple) est surtout intéressante dans le petit temps en eau plate. Dès que le "righting moment max" du bateau est atteint l'avantage théorique d'une aile disparait presque complètement. Il faut aussi dire que à puissance générée égale une aile rigide n'a pas moins de traînée (drag) qu'une voile souple.

Cette première partie est juste pour dire que à mon avis il est trop simpliste de dire qu'il suffit de mettre plus de puissance dans le moteur pour aller plus vite. Ce principe ne s'applique pleinement que tant qu'on a de la réserve en couple de redressement.

L'occasion est parfaite d'utiliser l'exemple d'Alinghi et Oracle lors de la dernière Coupe de l'America. Pour beaucoup c'est l'aile rigide de USA-17 qui a été l'atout principal pour les Américains. Je pense quand à moi que c'est surtout à cause du couple de redressement supérieur a Alinghi et à une plus grande longueur à la flottaison qu'ils doivent leur victoire. Oracle avait à disposition un bateau plus grand et plus puissant qu'Alinghi. Il n'y probablement pas beaucoup de raisons d'aller chercher beaucoup plus loin que cela.

Comme je m'écarte un peu du sujet, je profite aussi de mentionner que sur
les grands multicoques, comme les AC72, les efforts devenant vite énormes, une aile rigide permet de faire disparaitre complètement le problème de la tension d'écoute de grande voile (qui serait au minimum de 15 tonnes dans la brise). Cette réalité explique quasiment à elle seule le choix d'une aile rigide pour les AC72 et est probablement plus importante que les considérations de performance pure.

Pour en revenir au Class-A et au petits bateaux qui ont essayé dernièrement les ailes rigides: Moth et Class-A, aucune des ces classes n'a démontré un clair avantage avec une aile. Je pense que ça tient à plusieurs facteurs:

  • Comme expliqué plus haut une aile n'est pas forcément plus performante dans toute les conditions de vents par rapport à une voile souple (loin s'en faut).
  • Les gréements actuels sont très optimisés et les formes des voiles tant au niveau des volumes que du twist se marient parfaitement avec les caractéristiques de flexion des mâts. Avec ce que j'ai constaté des systèmes de contrôles des ailes actuelles, je ne vois pas comment on pourrait arriver à un tel niveau de précision des réglages. Sur les ailes actuelles, il n'y a pas vraiment moyen de régler le twist de la chute dynamiquement. Il n'y a qu'un "traveller". Au près c'est certainement une limitation, au portant c'est loin d'être idéal. C'est très grossier comme moyen de réglage.
  • En général une aile rigide sera plus lourde qu'un gréement souple. Cela n'est pas négligeable si on considère l'effet néfaste que ça a sur le pitching du bateau. Spécialement pour les petits bateaux où l'état de la mer devient proportionnellement très vite très agité (la hauteur des vagues est la même pour le genre de régates que nous faisons qu'on navigue sur un AC72 ou sur un Class-A).
  • La tension d'écoute qui disparait complètement est probablement un autre facteur de déstabilisation du gréement (surtout au portant). Les haubans sont les seuls éléments qui empêchent le mat de partir en avant. (On a tous remarqué l'effet qu'a un choqué d'écoute dans la brise au portant !!!!) Sur un AC72 la tension d'écoute dont je parlais est intégralement reportée dans les bastaques (rien n'est gratuit !!!!)
  • Un dernier facteur très théorique et sans entrer dans les détails. Quand on compare ailes (ou voiles) de tailles différentes on utilise souvent le "nombre de Reynolds". Ce chiffre à aussi une tendance à indiquer que plus une surface générant de la portance est grande, plus le concept d'une double surface est efficace par rapport à une simple surface. Par rapport à la taille de notre gréement une aile rigide n'est donc pas particulièrement intéressante.

En résumé je dirais qu'il n'est pas exclu qu'une aile rigide puisse être plus efficace sur une saison qu'un gréement souple mais personne ne l'a encore démontré et cela va demander du développement intensif (temps et argent). Toute les approches relativement simples (mais néanmoins sérieuses) n'ont rien amené de concluant pour l'instant.

Maintenant en admettant qu'un aile rigide devienne la solution incontournable. Les interdire une fois de plus nous mettrait sur la voie de garage. Si les ailes rigides sont interdites sur les Classe-A et qu'elles sont l'évolution logique de notre sport, je pense que les navigateurs finiront par passer à une classe où elles seront autorisées.

Une autre grosse difficulté sera d'écrire une jauge pour interdire les ailes rigides. Qu'est ce qu'une aile rigide ? Qu'est ce qu'on essaye de limiter ? Jusqu'où veut-on limiter ? 

Comme je l'ai mentionné plus haut je pense maintenant que c'était une erreur de vouloir interdire le vol. C'est cool de voler et si d'autres classes ou nouvelles classes s'y mettent le class-A ne sera plus utilisé comme exemple de bateau à la pointe du développement.
Je pense donc que ce serait une erreur de vouloir interdire les ailes. Je suis tout a fait d'accord que ça créerait du changement si les ailes rigides s'imposaient mais je pense aussi que "l'aile du futur" sera différente de ce qu'on voit ces jours. Pour l'instant, elles sont trop compliquées et pas très pratiques et en plus personne n'a démontré, à mes yeux, qu'il en fallait absolument une pour gagner

Un dernier point très général. Comme on a une  jauge totalement libre il me parait difficile d'interdire efficacement des nouveaux développements sans se diriger vers une jauge de type "OneDesign". Est ce que dans cette direction que la classe doit se diriger ?

J'espère que ces considérations seront utiles.
Luc du Bois, SUI-10

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